Voilà un récit digne des westerns de mon enfance, qui sans l'intelligence de cet ouvrier et l'intervention du maire, aurait pu se terminer par un lynchage, ou une pendaison sommaire. A méditer sur la nécessité du respect du droit à la présomption d'innocence, principe selon lequel une personne est réputée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été légalement prouvée.
ACCUSÉ DE SORCELLERIE
Le récit suivant est authentique. Je l’ai souvent entendu raconter par ma grand-mère et par toutes les personnes de son temps qui en avaient été témoins, il était de notoriété publique.
En l'an 1838, du 7 au 22 juillet, trois ou quatre pluies de grêle détruisirent toute la récolte autour de CHAMPAGNE-MOUTON. Tout le monde, les cultivateurs surtout, étaient dans la consternation. Quelques paysans finirent par s'assembler et tenir conseil. Ils étaient persuadés qu’il y avait une cause mystérieuse, de la sorcellerie ou de la diablerie. Or, il n'y avait que le curé qui fut assez savant pour s'occuper de ces choses. Le plus intelligent de la bande déclara : « C'est le curé, je l'ai vu passer dans les nuages et je l'ai fort bien reconnu, il chassait le nuage de grêle avec son bonnet carré et il le dirigeait sur nos champs ! » Et tous de dire : « C'est un chétif (l), il faut le tuer, il faut le massacrer ! » Et les voilà qui descendent par le village LA RUDIE, situé à un kilomètre environ de CHAMPAGNE-MOUTON.
Ils étaient armés de fourches et de faux, ils passent comme un ouragan, ils se précipitent dans la cour de la cure qui' n'était jamais fermée et cherchent le curé. Celui-ci, M. DEFAILLE, jouissait de l'estime publique ; pour le moment il était dans son jardin et ne se doutait de rien.' Heureusement qu'un ouvrier du bourg avait averti en hâte M. le Maire, M. de CHAMPVALLIER, qui, lui aussi, se précipita dans son jardin contigu à celui de la cure, enleva le pauvre curé en le tirant par dessus le mur de séparation et le traîna jusque dans sa maison. La bande fut obligée de se retirer. Mais M. le Maire envoya prévenir la gendarmerie de CONFOLENS, et le surlendemain les deux gendarmeries de CONFOLENS et de CHAMPAGNE-MOUTON emmenèrent les énergumènes à la prison de CONFOLENS. Les femmes suivirent jusqu'à CHAMPAGNE-MOUTON ; il y eut des cris, des pleurs, des évanouissements. Deux jours après les prisonniers furent délivrés ; on ne leur fit aucun procès. La leçon fut bonne, ils ne recommencèrent plus, mais jamais on ne put les empêcher de croire que M. DEFAME était dans les nuages avec son bonnet carré.
M. B. LARDANT,
institutrice à VIEUX RUFFEC
(l) Mauvais, malhonnête
Prison de CONFOLENS en 1838, 1 rue de la FERRANDIE. |
Grange du village de La Rudie datant de 1882. |
Source : Etudes locales - Bulletin de la société charentaise des études locales 1920
Photos : YM