LES FAD'ETS
C'est la guerre. Je suis seule à la maison, mais ma vieille amie Minette me tient compagnie.
J'aime Minette parce qu'elle a l'âme simple et le coeur bon et parce que je sais qu'elle m'aime elle aussi tant qu'elle peut.
Pour le moment Minette est silencieuse, et ça m'étonne.
Accroupie devant le feu, elle remue, avec une brindille, les cendres roses du foyer.
— Ve n' créyé don' à ré, Madame, vous ? (1). Je relève la tête, étonnée :
— Vous vous trompez, Minette, je suis très croyante et... même peut-être un peu crédule !
La subtilité de ma réponse dépasse l'entendement de ma vieille amie, mais elle voit que je souris avec ironie, et cela l'irrite :
— Non, non ! Y vé bé que ve né créyé à ré pusque ve ne créyé pas à las Fad'ets ! (2).
— Et vous, Minette, vous y croyez ? Minette pousse un soupir qui signifie :
— Quelle pitié !
Voyons, comment ne croit-on pas aux fées ? Rien de plus certain que l'existence de ces êtres merveilleux !
D'abord, qui ne connaît pas "le trou des fées", là-haut, sur la Chaulette, «à l'adret de la Font du Temple »? (3).
Bon ! c'est là qu'elles nichent, tout le monde sait cela !...
— Je connais en effet "le trou des fées".
— ... Et défunt le vieux Babaud, le grand-père de la Forgeaude, vous avez bien connu la Forgeaude, Madame ?, défunt Babaud, qui habitait la maison de Calluaud, au pont Chariot, les a vues.
Alors!... Comment n'y pas croire? C'est lui-même qui l'a dit et raconté mille fois "à la veille" ... (4).
— Il gardait ses petits "fillâtres" (5) assis au coin du feu. Les enfants jouaient autour de lui. Tout à coup, Babaud — très éveillé, bien sûr ! — vit descendre par la cheminée et s'abattre dans, la chambre, trois femmes vêtues de robes blanches comme la neige, trois femmes, si belles, si douces, si amiables, si gracieuses, rien que d'y penser les larmes vous en viennent aux yeux !
Elles jouèrent pendant un long temps avec les enfants ; elles leur firent de jolis jouets, avec des châtaignes et des noix : sabots, paniers, petits bateaux...
Puis, sans qu'on sache ni pourquoi, ni comment, elles partirent, elles s'envolèrent par où elles étaient venues, dans la cheminée toute noire !
Hein ! que dites-vous de cela ?
— Rien, c'est vrai, je ne sais que dire, je suis émerveillée par ce joli conte !
Alors Minette, qui croit m'avoir persuadée :
— Dites, Madame, n'avaient-elles pas un grand pouvoir, ces femmes qui passaient ainsi avec des robes blanches dans la cheminée sans se tacher d'un seul grain de « suie » (2) !
— Oh ! vraiment ... si elles ont fait cela !...
— Comment, si elles l'ont fait ! Minette est debout, indignée !
Je pose ma main sur son bras pour la calmer un peu :
— Je ne demande qu'à croire aux fées, Minette, mais... je voudrais bien les voir ! Babaud les a vues, ses petits-enfants les ont vues... Mais vous, Minette, avez-vous eu ce bonheur ? Pourquoi ne reviennent-elles plus ?
Alors Minette, grave, attristée, regarde devant elle et tout bas, d'un ton de regret :
— L' monde sont v'nus trop méchants, Madame !
Cette fois, oui, nous sommes du même avis, Minette et moi :
— L' monde sont v'nus trop méchants !
Alors... toutes les belles choses, toutes les choses merveilleuses, toutes les choses naïves et jolies s'en vont !
Marguerite MORAND
institutrice à Cellefrouin
1921
(1) Vous ne croyez donc à rien, Madame, vous ?
(2) Non, non ! Je vois bien que vous ne croyez à rien, puisque vous ne croyez pas aux fées.
(3) Juste à côté de la fontaine du Temple.
(4) A la veillée.
(5) Ses petils-enfants.
(6) Suie.
Source : Etudes locales de la Charente
CONTE DE NOËL - LA FÉE DE MAGNERIT
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