ALLOUE - MINES DE PLOMB ARGENTIFERE |
Roger Facon, Avril 1952
N. 11
Promenade à travers le Confolentais
Cette fois-ci, c'est d'Alloue - Ambernac que nous irons. Monsieur Maurice Cordeau a fait ces recherches pour nous. Nous l'en remercions.
Les Mines d'Alloue - Ambernac
Après 1815, la Royauté rétablit les finances publiques, mais les tentatives renouvelées et finalement réussies de conversion des rentes incitent peu les capitalistes à investir leur fortune mobilière en fonds d'état. Il faut trouver un emploi à ces capitaux et nombreux sont les annonciers qui offrent des
placements avantageux, les exploitations à aider sont variées, plus ou moins alléchantes et les placiers, plus ou moins honnêtes. C'est une lutte à mort entre les fondateurs de sociétés pour éliminer leurs partenaires et garder pour soi seul la bonne affaire, là discorde est la règle générale. Que d'efforts, en outre, pour mettre de son côté les forces administratives! Les mines d'argent d'Alloue-Ambernac nous donnent une démonstration excellente de cette activité souvent trop fébrile.
Il s'agissait d'exploiter des filons de galène avec blende qui ont traversé les terrains de l'Infralias et du Lias inférieur pour arriver dans le Lias moyen où ils se sont épanchés. Il ne semble pas y avoir eu d'autre étage traversé et le Lias supérieur forme le toit des filons-couches. Les filons sont en rapport avec une faille qui suit la vallée de la Charente, au voisinage d'Alloue, en direction du Nord-Ouest, jusque près d'Asnois. Cette faille a peut-être contribué à relever la roche granitique que l'on a trouvé au fond des puits de mine.
Les Archives Départementales de la Charente conservent un dossier assez volumineux sur les exploitations successives de ce gisement entre 1820 et 1870.
L'invention moderne du filon, à tous les sens du terme, semble revenir à un certain Bertrand Villain qui explore pendant la Révolution. Il cite ses découvertes dans un opuscule publié en 1823 et il en reporte alors plusieurs à 1794. Nous ne savons pratiquement rien sur ce personnage qui habite Poitiers
en 1821. C'est de cette ville que, le 9 Août 1821, Villain fait sa première demande de concession au Préfet de la Charente. Il la renouvelle et la précise en Octobre de la même année, puis en Février 1822.
Il décrit d'abord le gisement
"... les fouilles qu'il a fait faire à la mine de galène argentifère, ainsi que de plomb carbonaté blanc qu'il a découvert aux Chéronnies, commune d'Ambernac... lui ayant fait découvrir un banc de galène à grain d'acier argentifère, qui se trouve avoir de un à deux mètres de puissance, ayant pour
gangue de la baryte sulfurée diversement colorée qui se plonge sous un angle d'environ 45o dans la direction du Levant au Couchant." (24 Octobre 1822)
Il précise ensuite, le 1er Février 1823, la superficie et les conditions de l'exploitation à créer :
"... les limites qui suivent:
1.- au nord-ouest, par une ligne droite partant de l'angle de la maison de la métairie de Chez-Penneau, à l'angle nord de la maison de maître de la métairie de Nasseau.
2.- au nord, par une ligne droite partant de la maison de maître de la métairie de La Faye.
3.- au levant, par une ligne droite tirée du même point de la métairie de La Faye aux petites Chéronnies à l'angle sud de la maison des métayers.
4.- au sud-ouest, par une ligne droite partant du même point des petites Chéronnies, à l'angle sud de la maison des métayers, se dirigeant au point où la route de Confolens à Angoulême coupe la Charente, lieu où l'on doit incessamment établir un pont.
5.- du point où l'on doit établir un pont sur la Charente, au bas du Cluzeaud, par une ligne droite partant du dit pont et de son milieu et situé au couchant, et se dirigeant, au nord-ouest, à l'angle nord-ouest de la métairie de Chez-Penneau, lieu du départ.
... La compagnie, pour l'exploitation de la galène, tirera du bois et charbons des bois voisins, ainsi que des forêts de Saint-Germain, Brillac et Bois du Chambon, et livrera au commerce des produits à l'état:
1.- de saumons de plomb
2.- de plomb de chasse
3.- de l'argent à l'état de lingots.
Le Préfet, devant ces précisions, demanda l'avis de l'ingénieur des mines De Cressac, chargé de la circonscription minéralogique. De Cressac, résidant à Poitiers et, de surcroît député de la Vienne, semble avoir été très au courant des travaux de Villain. Il accorde l'autorisation provisoire et il ajoute:
"J'ai appris, Monsieur le Préfet, que la société d'agriculture, sciences et arts de votre département prenait un vif intérêt à l'entreprise de M. Villain. La manière la plus efficace d'obtenir un résultat satisfaisant serait de former une société d'actionnaires pour l'exploitation de cette mine et je pense que si la suite des ouvrages préparatoires confirme les espérances que donnent les premiers travaux, il serait fort à désirer que l'activité de M. Villain inspirât à Messieurs les membres de cette société et aux capitalistes de votre département assez de confiance pour en engager quelques-uns à se réunir à lui à cet effet. Cette mine serait d'un grand avantage pour le département de la Charente, mais pour l'exploiter en grand, il est nécessaire d'avoir des fonds assez considérables. Un seul individu ne peut guère l'entreprendre et, bien que M. Villain ait fait sa demande au nom de Villain et compagnie, il n'a cependant encore qu'un associé et il désirerait beaucoup trouver des actionnaires parce que ces travaux exigent des constructions d'usines assez dispendieuses, tant pour l'extraction du plomb que pour celle de l'argent, et qu'il sent très bien que c'est le seul moyen de réussir."
Les encouragements de l'ingénieur-député se poursuivent pendant l'année 1822. Les capitaux charentais, malgré les instances de De Cressac, ne semblent pas être allés vers B. Villain qui perd son premier associé, Paul Magnan qui ne tint pas ses engagements. C'est de Poitiers que vient le secours.
Un banquier poitevin, Aimé Laurence, fonde, le 24 Octobre 1822, la Compagnie des Mines de Confolens et de Melle. Villain recevra un sixième des bénéfices, comme inventeur, et un vingtième, comme ...
qu'il a de nouveaux bailleurs de fonds et qu'il sollicite la concession. Mais son activité lui suscite des adversaires résolus: les propriétaires des terrains dont il avait acheté les droits en 1822, un chirurgien de Confolens qui revendique l'invention et, surtout, le liquidateur de la Compagnie Laurence qui sollicite des délais pour empêcher la reprise de l'exploitation par un nouveau concessionnaire.
La lutte était inégale et Villain devait succomber devant le redoutable juriste qu'était Legentil-Laurence, procureur du roi, d'abord à Fontenay-le-Comte, puis à Poitiers. Villain demande au tribunal civil de cette dernière ville de prononcer la déchéance de la Compagnie A. Laurence. Nous n'avons pas la correspondance entre le préfet de la Charente et Legentil, mais nous avons une lettre de celui-ci répondant au préfet qui l'avisait des efforts de Villain pour céder ses droits à de nouveaux bailleurs. Legentil s'abrite derrière ses fonctions pour demander des délais:
"dans quelques jours... je rédigerai une réfutation complète des allégations de mon adversaire, car nous sommes en mesure de repousser l'agression aussi bien au fond que dans la forme. Permettez moi,Monsieur le Préfet, d'attendre de votre obligeance cet ajournement que je prendrai le moins long possible ; les fonctions dont je suis chargé à la Cour Royale de Poitiers ne m'ont pas permis dem'occuper de ce travail qui exigera l'examen et le dépouillement de pièces assez nombreuses." (22 Février 1835).Quelques semaines plus tard, le tribunal de Poitiers déclare que Bertrand Villain n'a point qualité pour demander la dissolution de la Compagnie Aimé Laurence (8 Avril 1835) et ce n'est qu'en 1836 (25 Mars) que cette dissolution est prononcée, Legentil étant chargé de la liquidation. Mais l'administration des Ponts et Chaussées, ignorant tout de cet imbroglio judiciaire, demande au préfet de la Charente des renseignements sur la demande de concession formulée en 1835 par Villain. Enfin, en 1839, les concessionnaires sont sommés de reprendre les travaux sous peine de déchéance. Rien n'y fait et les procès-verbaux de non-exploitation se succèdent jusqu’en 1849, où l'on constate que les bâtiments ont été vendus et démolis.
Legentil s'efforçait de vendre la concession. En 1839, il est an tractations avec un métallurgiste nommé Michaud. Il faut attendre 1857 pour voir intervenir un acquéreur, Raoul Destrem, de Paris, agissant au nom de la "Compagnie des Etains Français". La demande d'autorisation préfectorale souligne la force financière de cette société:
"Nous joignons ici l'extrait des contributions du gérant de la Compagnie qui, seulement sur un point, à Paris, paie 1,700 francs de contributions. D'ailleurs, la Compagnie possède de nombreux immeubles dans la Haute-Vienne et la Charente, dont nous n'avons point ici le rôle des contributions, mais qui serviront à fixer la confiance de l'administration."Le 23 Décembre 1857, la concession était vendue à la Société Raoul Destrem et, le 18 Juin 1858, le préfet accordait l'autorisation. Nous pouvons suivre la marche de l'exploitation par le tableau des redevances, pendant quelques années.
En 1857,. L'exploitation porte sur la mine du Pavillon. Elle utilise un atelier de préparation sur les bords de la Charente, avec des cylindres broyeurs, deux lavoirs circulaires, un crible débourbeur, un atelier de cassage et des cribles à secousses. La force motrice est fournie par un moulin. La paie des ouvriers, soit douze ouvriers à l'intérieur, dix mineurs et vingt manoeuvres à l'extérieur, se monte à 1,500 francs par mois. L'exploitation est en déficit. En 1858, ce déficit est estimé à 5,000 francs. En 1859, le personnel est réduit à douze ouvriers à l'intérieur et dix à l'extérieur. La paie était de 6,500 francs, mais l'exploitation avait été suspendue pendant une partie de l'année; la mine de Beaumont avait été abandonnée car le minerai était trop pauvre. Le déficit monte à 6,833 francs. En 1860, il monte à 54,337 francs et l'abandon total semble inévitable. En 1861, les salaires ne sont plus que de 420 francs, soit quinze journées de travail pour six ouvriers mineurs à 3 francs et cinq ouvriers casseurs à 2 francs.
"Statistique géologique et minérale de l'Arrondissement de Confolens",publiée à Confolens le 15 Juillet 1823. Cet opuscule est un véritable prospectus de propagande auprès des actionnaires possibles. Villain y marque ses droits sur des gisements situés au voisinage de Confolens, près de Lavillate, Ambernac, Alloue, Hiesse, Esse, Etagnac. De Cressac intervient entre les parties, Villain obtient le vingtième des bénéfices, comme inventeur, et garde la propriété des conventions particulières qu'il a passées avec les propriétaires du sol. La Compagnie Aimé Laurence donne son nom à l'entreprise.
Cette longue querelle s'explique par les stipulations de la loi de 1810 qui était alors en vigueur. Les mines ne pouvaient être exploitées, même par le propriétaire, sans que l'Etat ait accordé une concession. L'Etat choisissait librement parmi les candidats. La concession accordée devenait une propriété perpétuelle et transmissible. Le concessionnaire devant indemniser les propriétaires du sol et l'inventeur payer une redevance à l'Etat.
L'accord se fait péniblement et, en Février 1824, Aimé Laurence demande la concession....
"D'après les premières indications données par le sieur Bertrand Villain, il a formé une compagnie pour l'exploitation des mines métallifères de Confolens et de Melle notamment... et mine d'Alloue..."Ladite concession sera limitée ainsi qu'il suit:
1.- au sud, par une ligne droite tirée de l'angle ouest de la maison de l'Alemandie au clocher d'Ambernac
2.- à l'est, par une ligne droite tirée du clocher d'Ambernac à l'angle sud-est de la première maison du village de Lafond
3.- au nord, par une ligne tirée du même angle de la première maison du village de Lafond à l'angle est de la métairie dite de Chez-Pouvel
4.- à l'ouest, par une ligne tirée du même angle de la métairie de Chez-Pouvel à l'angle ouest de la maison de l'Alemandie, point de départ."
3.- au nord, par une ligne tirée du même angle de la première maison du village de Lafond à l'angle est de la métairie dite de Chez-Pouvel
4.- à l'ouest, par une ligne tirée du même angle de la métairie de Chez-Pouvel à l'angle ouest de la maison de l'Alemandie, point de départ."
découvertes gisements à Sanxay, La Mothe-Saint-Héray, Melle, Les Chéronnies, Confolens, Saint-Germain, La Roche-Combourg. Il déclare que la roche siliceuse d'Alloue est analogue à celle de Melle et de Sanxay.
"La mine d'Alloue a été connue des Anciens et exploitée sur une assez grande étendue, sans que la tradition ait laissé aucune trace de leur existence ni de
leurs explorateurs."
42,000 francs. Enfin de Cressac donne le plan de la mine.
hauts fourneaux, un fourneau de coupellation pour opérer la séparation des métaux; elle demande à utiliser le ruisseau qui coule au pied de la mine dans la vallée de Beaumont.
Mahoudeau, ingénieur, Probay-Allard, négociant, et Turgan, publiciste, ont acheté la mine d'Alloue en Août 1876.
"Depuis cette acquisition, ils ont fait de nombreuses recherches et analyses, desquelles il est résulté la découverte de divers autres minerais connexes et enchevêtrés à la galène (sulfure de zinc). La galène est tellement unie avec les autres minerais qu'il est impossible d'exploiter l'une sans les autres. Le zinc à l'état de métal libre était inconnu lors de la concession, ce qui explique pour quoi elle n'en fait pas mention. En conséquence, de ces droits de propriétaires et d'inventeurs le soussignés ont l'honneur de demander que la concession indiquée soit étendue à la blende et autre minéraux annexes et enchevêtrés dans l’étendue de la concession d'Alloue."
Les Archives Départementales sont maintenant muettes sur l'Eldorado charentais, mais les échecs du XIXème siècle n'avaient pas découragé les chercheurs de fortune, puisque l'exploitation repris vers 1930. Il eût sans doute mieux valu s'en tenir à la sagesse populaire qui affirme que:
"la pièce de cent sous y coûtait six francs."
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