Publication du 20 février 2014
Première partie
Monsieur Emile VILDARD, est né à ALLOUE, le 19 décembre 1901, Il a passé son enfance et son adolescence dans la commune. Rentré dans la vie active, il s'installe à POITIERS et exerce une activité professionnelle de voyageur de commerce. A la fin de sa vie, il réside à nouveau à ALLOUE, à l'ancienne poste dans un premier temps et ensuite dans un appartement des écoles d'ALLOUE. Il est décédé le 4 mai 2000 à l'âge de 99 ans à CAEN.
Ce sont ses mémoires de jeunesse de 1914, qu'il nous conte ....
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Les lignes qui vont suivre ne sont qu'une évocation, que j'ai voulue aussi exacte que possible des souvenirs de mon enfance.
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ALLOUE |
Né à ALLOUE en 1901, j'ai été témoin des conditions de vie des gens de la campagne au cours de cette période qu'on a appelée "La Belle Epoque". J'ai lu, je ne sais où, qu'un rescapé de la période révolutionnaire avait dit : << Il n'a pas connu la joie de vivre, celui qui n'a pas vécu en France avant 1789>> . Je suis certain d'être l'interprète de tous ceux qui ont connu ce début de siècle et qui sont maintenant disparus, en écrivant aujourd'hui : il n'a pas connu la joie de vivre celui qui n'a pas vécu en FRANCE en 1914.
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ALLOUE - La rue principale |
ALLOUE était alors une bourgade d'une certaine importance ; chef-lieu d'une commune de 1400 habitants, sur la route départementale n° 7, de CONFOLENS à RUFFEC. Située dans une vallée assez étroite, la plupart des maisons de la rue principale sont construites parallèlement au cours d'eau qui l'arrose, la CHARENTE. Les voyageurs qui y arrivent pour la première fois et de quelque côté que ce soit sont toujours surpris de ne découvrir ce petit pays qu'en apercevant la première maison.
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Portail de l'église Notre Dame d'ALLOUE |
Au milieu du bourg se trouve l' église romane construite au XIème siècle ; cette église dépendait de l'Abbaye de CHARROUX ; des moines habitaient alors la maison contigue désignée aujourd'hui "ancien Prieuré". Après la guerre de 1914, elle fut classée monument historique. Les Beaux-Arts en modifièrent l'intérieur en effaçant complètement les peintures murales et en détruisant les 24 stalles en chêne qui étaient destinées aux moines assistant aux offices. Lorsque j'étais enfant, les moines ayant depuis longtemps disparu, les hommes les occupaient de préférence dans la mesure des places disponibles, 12 de chaque côté.
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L'intérieur de léglise |
Le dimanche, l'église était remplie de fidèles ; tous les paroissiens n'étaient pas à la messe, mais presque toutes les familles étaient représentées. Le curé résidant, l'abbé DUMAS qui est resté plus de quarante ans à ALLOUE, était secondé par un vicaire. Il y avait en outre un sacristain, un chantre et un bedeau. Ce dernier avait une double fonction : il avait à entretenir le jardin du presbytère et à soigner le cheval qui servait à notre vieux curé dans ses déplacements ; le dimanche, il avait à veiller à ce que la jeunesse qui assistait à la messe se tienne au moins correctement. A l'occasion des grandes fêtes, il y avait la grande foule et de belles cérémonies, les jeunes filles sous la direction de Mademoiselle Marie-Louise MERCIER, excellente musicienne, constituaient une chorale à laquelle j'ai moi-même participé en certaines occasions.
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L'école - La Mairie |
Lorsque Jules FERRY institua l'instruction obligatoire, il fallut construire une école. Si nous devons manifester notre reconnaissance à celui qui fût un des grands et honnêtes hommes de la IIIème République, nous pouvons aussi la manifester à ceux qui firent construire cette école. L'emplacement choisi le fut avec beaucoup de discernement ; elle est aujourd'hui un monument imposant qui honore la commune. Comme toutes les constructions de l'époque, elle se compose d'un bâtiment central dans lequel se trouvent le logement des instituteurs et la Mairie. De chaque côté sont accolées deux ailes moins élevées, destinées à recevoir les écoliers, les garçons d'un côté, les filles de l'autre. Il y a deux classes par bâtiment, les enfants étant classés en catégories, les grands et les petits. Il y avait environ 35 élèves par classes, aussi la discipline était de rigueur. Cependant nos maîtres étaient aimés et respectés, car nous comprenions bien que le travail qu'ils faisaient n'était pas de tout repos et que leur dévouement était encore plus grand que leur sévérité.
J'ai passé l'examen du certificat d'études le 8 Juin 1914. Nous étions cinq candidats. A partir de la rentrée qui suivit les vacances de Pâques, nous allions tous cinq à l'école le jeudi pour y passer un examen simulé. Le soir du 8 Juin, à l'appel des résultats notre instituteur, Monsieur Emile MERCIER, eu la satisfaction d'entendre trois de ses élèves enlever les 3 premières places du classement ; j'étais le troisième. Cette récompense était méritée, car il nous fallait travailler sans cesse. Le matin, à 8 heures, rentrée en classe et, après avoir regagné nos places respectives, nous devions jeter un coup d'oeil sur le tableau noir où était inscrite une maxime dans le genre suivant :
Fais ce que tu dois, advienne que pourra
Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît
Le menteur est le cousin germain du voleur
La rouille use plus que le travail
et beaucoup d'autres dont l'énumération serait fastidieuse.
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Classe de Monsieur Emile MERCIER vers 1913 |
Après une courte dissertation, nous avions un cours d'instruction civique le lundi et le vendredi ; le mardi, le mercredi et le samedi problèmes d'arithmétique. A 10 heures, récréation d'un quart d'heure, puis rentrée à nouveau pour réciter nos leçons d'histoire ou de géographie, ou exercice d'écriture et quelquefois de dessin. A midi, ceux qui n'étaient pas punis au pain sec, partaient déjeuner et revenaient à 1 heure. Il y avait alors soit une dictée, soit un exercice de composition française ; après un quart d'heure de récréation, nous reprenions nos places : lecture ou calcul mental terminaient la journée scolaire. En dehors des deux quarts d'heure de récréation, il nous fallait travailler sans relâche et personne n'aurait osé protester ; les instituteurs avaient la confiance et le soutien des parents et le surmenage scolaire dont on nous rebat les oreilles aujourd'hui n'aurait été admis ni par les uns, ni par les autres.
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Documents de l'étude de Maïtre BACHELLERIE de 1922 |
Il y avait aussi un Notaire, Maître BACHELLERIE, qui habitait sur la place. A cette époque les Français étaient rigoureusement libres de vendre ou d'acheter, le seul intermédiaire entre le vendeur et l'acheteur était le notaire dont la présence était indispensable, étant seul habilité pour dresser les actes. Les organismes parasitaires qui pullulent aujourd'hui étaient complètement ignorés. Le vendeur se rendait chez le Notaire pour l'informer de son intention de vendre, le public en était avisé par voie d'affiches sur lesquelles étaient indiquées tous les renseignements pouvant intéresser les acheteurs éventuels, nature des éléments à vendre, immeuble, terrains, prairies ou terres labourables et leur contenance, et bien entendu, la mise à prix. Tout se passait le plus honnêtement du monde et je n'ai aucun souvenir qu'il y ait eu discussion après accord définitif entre les deux parties. Le Notaire avait aussi un second rôle, il conseillait et facilitait les prêts ou emprunts à condition que les clients intéressés soient sérieux, honnêtes et solvables.
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La famille POIRIER devant la menuiserie dans la vieille rue, vers 1911 |
Il y avait à ALLOUE, 5 épiciers, 2 cordonniers, 2 sabotiers, 2 tailleurs, 1 coiffeur chapelier, 2 charpentiers, 3 menuisiers, 3 maréchaux-ferrants, plusieurs maçons. Ces derniers qui éprouvaient l'hiver des difficultés pour travailler, devaient compenser la perte prévisionnelle qui pouvait s'ensuivre en faisant l'été des journées aussi longues que le jour le permettait.
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La chapellerie route d'Epenède |
Il y avait en outre, 3 magasins de tissus et de "nouveautés" ; l'un d'eux, de peu d'importance, était tenu par mes parents, ce qui permettait à ma mère qui était couturière, de vendre le tissu qu'elle devait ensuite transformer en tabliers ou en chemises. Le plus important était tenu par les BRENICHOT qui habitaient la maison où vient de s'installer un plombier. Ces BRENICHOT, 2 frères et 2 soeurs célibataires, étaient riches, étant d'autre part propriétaires de deux fermes, VERRINE et l'AGE-DIOT. Les deux soeurs travaillaient sans relâche comme couturières elles ne sortaient jamais, étaient d'une avarice sordide. Quant aux deux frères, l'aîné s'occupait du jardin, mais lui-même ne fréquentait personne. Seul, le plus jeune "Monsieur LOUIS" était un bon vivant et vivait comme un prince, se bornant à visiter ses métayers. Il y avait donc le 3ème magasin de tissu tenu par un autre frère et qui était situé où se trouve l'ancienne boucherie POUVREAU. Un autre frère, le 6ème, tenait le café qui appartint plus tard à MOREAU.
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Une charrette à ALLOUE avec ses roues ferrées par le charron. |
Les BRENICHOT étaient nombreux, deux frères, cousins des précédents et grand-père et oncle de mes excellents amis, Pierre et Marc BRANCHE, étaient charrons. Ces deux vieillards, véritables artistes, nous émerveillaient par leur habileté et leur résistance au travail ; quel que soit l'outil qu'ils aient en main, lourd comme le marteau du forgeron ou léger comme la plane*, ils savaient s'en servir avec une précision et une dextérité remarquables. Nous aimions surtout les regarder lorsqu'ils se préparaient à ferrer des roues de charette. Ce travail consistait à faire chauffer pendant plusieurs heures les ferrures, c'est à-dire d'énormes cercles de fer pour les dilater, car ayant le même diamètre que les roues dont les éléments avaient été assemblés, il était indispensable que ces cercles gagnent un centimètre ou deux pour entourer les roues. Cette opération réalisée, ils arrosaient abondamment pour obtenir un tel resserrement des cercles surchauffés que même à l'usage aucune disjointure ne se produisait.
LE 17 AVRIL 1985
Emile VILDARD
à suivre ...
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Une plane
*Outil très ancien utilisé depuis les temps les plus anciens par les gens du bois, charpentiers, charrons, tonneliers, menuisiers.* La plane est un outil complet, très efficace pour dresser un plan, écorcer, ou bien "casser"(chanfreiner) les angles vifs d'une poutre, mettre au rond une pièce de bois carrée ( ex: chevilles de charpente ). L'outil est maintenu par ses deux poignées et tiré vers soi, dans le sens du bois.Tout le poids du corps peut ainsi être utilisé pour les travaux de dégrossissage pour un rendement maximum alors qu'en finition, la plane, peut également s'avérer très précise, dégageant des copeaux d'une incroyable finesse.
François VINCENT dans son atelier au "PRAT" dans les années 1970
Malgré la mauvaise qualité de cette photo on distingue correctement les planes sur le mur du fond
ALLOUE EN 1914, deuxièmme partie :
ALLOUE EN 1914 : troisième partie :
Photos : Yves Morinais - Collection Raymond Poirier
CPA : collection Privée
Archives BACHELLERIE : collection privée
Remerciements à Raymond Poirier et Dominique Rapion
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